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Royaliste n°  1218

L’avenir du christianisme

par Gérard Leclerc

lundi 11 octobre 2021

► Guillaume Cuchet, « Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? », éd. Du Seuil

C e n’est seulement pas dans l’Histoire, et dans l’Histoire contemporaine, que l’on se pose la question de l’avenir du christianisme. Sigmund Freud ne parlait-il pas, en 1927, de «  l’avenir d’une illusion  », n’affirmait-il pas que la culture chrétienne n’avait déjà plus la même influence qu’autrefois en raison du «  renforcement de l’esprit scientifique dans les couches supérieures de la société humaine  » ? Un siècle plus tard, on est frappé par le caractère obsolète d’une telle affirmation, tant les progrès des sciences exégétiques ont mis en évidence les faiblesses d’un certain rationalisme. Et par ailleurs on peut douter que le détachement du catholicisme (et aussi du protestantisme classique) s’explique par un accroissement de culture générale ou scientifique, alors que l’on constate d’abord l’absence de culture religieuse.

L’historien sociologue qui s’intéresse aujourd’hui au phénomène des nones, c’est-à-dire des sans religion, est amené à reconnaître qu’il se caractérise d’abord par une «  désaffiliation  » par rapport à la religion à laquelle avaient appartenu leurs prédécesseurs. Et celle-ci remonte désormais à la deuxième voire à la troisième génération antérieure, si bien que les nouvelles générations n’ont reçu que la rupture en héritage. Donc, leur éloignement du christianisme n’est pas volontaire, leur relation à la culture chrétienne étant de plus en plus évanescente. Elles ne sont plus en révolte comme les jeunes gens de 1968. Très souvent, comme on dit, «  elles sont en recherche  » et donc disponibles pour de multiples expériences à mille lieues de l’athéisme scientifique d’hier. Ainsi que le note Guillaume Cuchet dans son dernier essai «  une demande de “spiritualité”, de“ méditation”, de “pleine conscience” de “développement personnel” se développe à l’intérieur d’une mutation plus générale de la psyché contemporaine, marquée par la psychologisation massive des mentalités., le recours aux anxiolytiques et aux antidépresseurs (…) les nouvelles formes de l’ascèse alimentaire et sportive (le running) voire l’usage massif de stupéfiants  ». Tels sont aujourd’hui les étranges chemins de la recherche d’un indiscernable infini.

C’est donc un nouveau paysage civilisationnel qui s’ouvre à nous, du moins dans les pays occidentaux (Europe, États-Unis). Il ne faudrait pas oublier que le christianisme continue de se développer en Afrique et en Asie et que l’Amérique latine est l’objet d’une offensive généralisée des Église évangélique. Toujours avec Guillaume Cuchet, on pourrait parler de «  la mise en place d’une sorte de marché mondial des religions et des spiritualités ouvert et fluide où chacun pourrait venir chercher ce qui lui convient le mieux, quitte à repasser de temps en temps par l’échangeur central des sans-religion. Entre les deux, des pôles d’affiliation minoritaire permettraient de maintenir la diversité de l’offre.  »

On discerne la faiblesse de ce régime religieux. Une pratique de la méditation et une forme occidentalisée de bouddhisme peuvent nourrir une vie intérieure. Mais nous sommes très loin d’une forme de civilisation analogue à l’ancienne Chrétienté. Guillaume Cuchet se montre assez sévère à l’égard de ce qu’il appelle une «  prolétarisation métaphysique  » faute d’une véritable substance. Est-ce à dire que le christianisme, pour reprendre l’expression du cardinal Lustiger, n’étant plus reconnu comme patrimonial, pourrait apparaître comme une nouveauté à redécouvrir complètement ? Notre historien n’en est pas là, d’autant que cette dimension patrimoniale ne lui paraît pas du tout obsolète mais au contraire pourrait s’affirmer selon lui comme une base pour rebondir. L’émotion intense soulevée par l’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, a montré comment l’opinion publique pouvait prendre conscience brusquement de l’importance d’un héritage qui n’est pas seulement esthétique.

Cependant, l’Église catholique, pour reconquérir en profondeur l’opinion est aux prises avec des difficultés internes pour faire entendre son message. Dans son précédent essai – Comment notre monde a-t-il cessé d’être chrétien (1) – Guillaume Cuchet avait abordé cette question cruciale de l’aggiornamento posée par le concile Vatican II, en montrant un décrochage de l’enseignement doctrinal par rapport aux fins dernières. Le genre homélitique post-conciliaire s’intéressait plus à la transformation sociale du monde, et même à l’accomplissement personnel, au risque d’abandonner la perspective de l’Au-delà. De ce fait, l’Église perdait beaucoup de sa force «  kérygmatique  » même si, par la suite, la vague charismatique allait procéder à une réévaluation de la mystique. Le pape Paul VI confirmerait ce tournant, lors de l’année jubilaire 1975, en recommandant une annonce explicite de la Bonne Nouvelle. Cela remettait en cause la stratégie pastorale de la décennie précédente. Serge Bonnet, ce dominicain de génie, avait dénoncé, sur le moment, le péril de l’abandon de la religion populaire et d’une banalisation politique du christianisme.

À l’heure du pape François, de nouvelles interrogations se posent sans qu’on sache encore très bien sur quoi débouchera l’offensive synodale dont il espère une redynamisation de l’institution depuis la base et non seulement depuis l’encadrement clérical. Mais l’historien du présent ne saurait spéculer sur un avenir imprévisible. Il se fonde sur des données actuelles incontestables. Il y a notamment, cette évidence de l’existence persistante d’un catholicisme culturel, et celui-ci est aujourd’hui l’objet d’une attention très particulière, même si sa nature distincte de la foi proprement dite est problématique. Le philosophe François Julien, par ailleurs notre meilleur spécialiste de la pensée chinoise, a publié il y a trois ans un ouvrage intitulé Ressources du christianisme (éditions de l’Herne) où il insiste sur l’accessibilité de ces ressources indépendamment de la démarche croyante. La revue internationale de théologie Communio vient de publier un numéro sur cette notion de catholicisme sans la foi. Le sujet est donc d’actualité. L’incertitude contemporaine quant à l’identité remet en valeur l’héritage culturel, dont on comprend qu’il est consubstantiel à notre histoire. Héritage riche, nous dit François Julien «  d’une capacité existentielle  ». Sans aucun doute, mais cette culture chrétienne peut-elle subsister longtemps sans ce qui la fait vivre depuis les origines ? ■

(1) Cf. Royaliste n° 1141 (du 20 mars au 2 avril 2018).