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Royaliste n°  1254

Sur la fin de vie

par Gérard Leclerc

lundi 10 avril 2023

À propos de ► Claude Grange, Régis Debray, Le dernier souffle. Accompagner la fin de vie, Témoins, Gallimard, 2023.

Le terme de «  fin de vie  » est, de par la volonté d’Emmanuel Macron, entré dans l’actualité politique. En empruntant des procédures nouvelles très contestées. Est-ce vraiment à une convention de 150 citoyens tirés au sort de décider de notre avenir législatif sur un tel sujet ? Sans doute ne s’agit-il que d’une phase de confrontation préparatoire à une saisie par le Parlement. Il n’empêche que les résultats d’une telle convention ne peuvent que peser sur les décisions à venir. Et l’on est obligé de se demander si nous assistons à une inflexion durable du politique, dont le processus est apparu au début du premier septennat de François Mitterrand. Avec le tournant de la rigueur décidé par le président sur l’insistance de son ministre Jacques Delors, c’en est fini du Programme commun de la gauche et donc de la perspective d’une transformation des structures sociales du pays. Libre voie est laissée au libéralisme économique et au libre-échangisme à l’échelle mondialiste.

Il fallait bien que ce choix décisif eût sa traduction dans d’autres orientations intellectuelles de la gauche. Cela parut évident avec le quinquennat de François Hollande. Le candidat avait certes désigné la finance comme son véritable adversaire, mais il ne s’agissait que d’une habileté de langage. Et de fait, le seul événement notable de cette expérience fut l’instauration d’un mariage dit pour tous. On était passé du social, apanage de la gauche, au sociétal, apanage d’un néoprogressisme, où Emmanuel Macron a eu la riche idée de s’insérer, dès lors qu’il n’y avait plus de frontière évidente marquée par les orientations économiques.

J’ai eu la curiosité de consulter quelques dictionnaires d’une relative ancienneté (20 ans et plus). Le mot sociétal n’y apparaît pas. Et quand il apparaît enfin, sa définition est des plus problématiques. Peut-être qu’à l’aide de l’évolution de la pensée historique, le concept pourrait être mieux abordé. Lorsque Philippe Ariès met en valeur l’émergence d’une «  histoire existentielle  », il la distingue d’une histoire plus étroitement politique, celle classique de nos anciens manuels d’histoire. L’accent est mis désormais sur les mœurs, les mentalités, les attitudes devant la vie. Tout ce dont va s’emparer un Michel Foucault et bon nombre de penseurs critiques, tel Pierre Bourdieu.

Mai 1968 aussi est caractéristique d’une telle mutation. Les groupuscules gauchistes de l’époque ne rêvent que de reproduire la révolution lénino-trotskiste de 1917 (qui n’est éloignée que d’un demi-siècle). Mais c’est une révolution culturelle que la révolte générationnelle va produire, à laquelle d’autres références s’accorderont beaucoup mieux avec Reich et Marcuse.

Marcuse, d’ailleurs, avait fort bien perçu que la promotion du désir se heurterait un jour ou l’autre à l’obstacle de la mort, cette finitude incontournable. Il pensait pouvoir le franchir : «  La nécessité de la mort ne réfute pas la possibilité de la libération finale. Comme toutes les autres nécessités, elle peut être rendue rationnelle, indolore. Les hommes peuvent mourir sans angoisse s’ils savent que ce qu’ils aiment est protégé de la misère et de l’abandon. Après une vie comblée, ils peuvent prendre sur eux de mourir au moment de leur choix.  » Ce propos tiré d’Éros et civilisation (Minuit, 1963) est prophétique. Il rend compte de notre actualité immédiate avec ce projet macroniste d’encadrer la fin de vie par de nouvelles dispositions législatives. La société trouve là son horizon presque ultime. Le politique institutionnel s’empare de l’existentiel fondamental, en tentant de le réguler. Et cela en dépit des interdits métaphysiques qui continuent à planer sur les questions de vie et de mort. Ces interdits qu’un Pierre Legendre n’a cessé de rappeler, en dépit de son agnosticisme, parce qu’il les savait constitutifs de notre humanité.

L’existentiel se rapporte aussi à une phénoménologie des données de la vie. En deçà des positions dites conservatrices ou progressistes, il convient de se rendre compte de ce qu’il en est des conditions de prise en charge des personnes aux portes de la mort. Le petit livre que Régis Debray vient de publier avec son ami le docteur Claude Grange est bienvenu parce qu’il se situe justement sur le plan existentiel. Spécialiste des soins palliatifs, ce médecin est, sur le terrain, aux côtés de personnes fragiles qui n’ont plus la possibilité de recourir à des traitements curatifs. Ce n’est pas une raison suffisante pour recourir à la piqûre libératrice qui pourrait faire l’économie d’une telle dépense d’énergie et d’argent. Non, l’euthanasie ou le suicide assisté ne sont pas les solutions bienfaisantes qui éloigneraient définitivement le cauchemar des souffrances terminales.

Il y a cette constatation sur laquelle s’accorde l’ensemble des soignants : «   Pendant plus de 25 ans, j’ai eu des malades concernés par le sujet, et curieusement ce n’est pas ce qu’ils me demandaient à partir du moment où ils étaient soulagés et accompagnés. Durant toute cette période, je crois n’avoir eu que trois demandes persistantes malgré les soins prodigués.  » Trois demandes sur des milliers de malades assistés ! Voilà qui relativise l’écho donné par les médias à la revendication euthanasique, plébiscitée dans les sondages. Un témoignage comme celui du docteur Grange fait prendre conscience de la spécificité du rôle de celui dont la vocation est d’assister des malades : «  Donner la possibilité aux médecins de provoquer la mort est fondamentalement contraire à l’éthique de soin et à la vocation de médecin.  » Le serment d’Hippocrate n’est nullement dépassé. Si le droit de donner la mort était, quelque jour, conféré par la loi, il ne saurait toucher l’univers médical dont ce n’est pas le rôle.

On se souvient que Michel Houellebecq, dans « La Carte et le Territoire », s’est intéressé au cas de la Suisse, qui a admis le suicide assisté mais qui dispose de structures particulières, non médicales, pour ce genre de pratique. Pratique qui, au demeurant, provoque la révolte du romancier. Au moins ne doit-on pas confondre les ordres, si cette notion pascalienne a un sens dans un tel domaine. L’ordre sanitaire et médical ne se comprend pas sans la sérénité et la bienveillance d’un lieu d’accueil à nos fragilités. Là-dessus, le docteur Grange a beaucoup à nous apprendre.

Contrairement à ce qu’on présuppose, les secteurs dévolus aux soins palliatifs ne sont pas des lieux de douleur insupportable ni même de souffrance morale indicible. Mais pour le comprendre, il faut surmonter nos appréhensions à l’exemple de ce guide qui, au début, les partageait, au point d’être inhibé devant ce type de soin. Mais Claude Grange a découvert qu’il y avait beaucoup à apprendre d’une certaine sagesse africaine qui nous fait honte du mépris pour le grand âge. ■

P.S. : On ne saurait trop remercier Régis Debray d’avoir provoqué le beau témoignage de son ami. J’aurais cependant à lui exprimer quelques réserves sur son propre point de vue. Cela viendra si l’occasion nous en est donnée.