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Une Révolution dans le royalisme - 3/ LE CHEMIN DE LA SCLEROSE

4 avril 2010, 20:55, par F.Aimard

a - de 1926 à 1939

L’A.F., qui est en perte de vitesse lorsque la situation politique se stabilise, connaît un nouvel essor en période de crise.

La poussée d’antiparlementarisme qui suit les élections de 1932 et qui culmine au moment de l’affaire Stavisky, semble donner à l’A.F. un nouveau départ.

Pourtant, à partir de 1930, on constate un net déclin sur le plan intellectuel : l’A.F. devient un petit groupe fermé, remâchant sa routine de pensée et d’action.

Maurras, obsédé par le danger allemand, confie le domaine économique et social aux mains de dirigeants incompétents. Ainsi, l’A.F. rate le « tournant des années 1930 ».

Une rupture s’opère peu à peu entre Maurras, le vieil état-major d’A.F., et le public, qui devient de plus en plus conservateur. Les « camelots du roi » sont présents en première ligne lors de l’émeute du 6 février 1934 qui montre à la fois la force de l’extrême-droite et son incapacité à renverser les institutions. Ce soulèvement n’aurait-il pas dû être l’occasion du « coup de force » annoncé depuis si longtemps par Maurras ? Mais Maurras tergiverse et même apparaît clairement comme n’étant pas intéressé par la prise du pouvoir... L’occasion est donc manquée, si occasion il y avait, et les membres les plus ardents de l’A.F. se détournent d’un mouvement qui leur paraît voué à l’impuissance.

De plus, le comte de Paris, refusant les clivages, ne veut pas d’une prise de pouvoir par la guerre civile. Il se sépare de l’A.F. qui s’est rangée définitivement à l’extrême-droite lors du 6 février 1934.

Malgré son folklore de prestige : défilés, drapeaux, banderoles, « camelots du roi », organisations internes, etc. l’A.F. n’arrive pas à surmonter la concurrence des ligues comme les Croix de Feu qui progressent à un rythme accéléré en faisant jouer les solidarités d’anciens combattants.

Le déclin intellectuel s’accentue, même s’il est masqué par quelques faits spectaculaires :

 l’élection de Maurras à l’Académie française en 1938,

 la levée de la condamnation pontificale par Pie XII en 1939.

Jusqu’à la guerre, l’A.F., tout en dénonçant avec clairvoyance le péril hitlérien, accable d’outrages les gouvernants de la République, notamment Léon Blum qui est l’objet d’attaques marquées par l’antisémitisme le plus primaire.

L’A.F. appelle la France à s’armer pour résister à l’Allemagne, et en même temps, elle dénonce avec une violence quasi obsessionnelle la complicité de la République avec la « conspiration judéo-maçonnique », qui pousse à la guerre pour faire en définitive le jeu des Soviets ...

La position de Maurras est bien définie par ce texte publié dans l’A.F., le 11 janvier 1937 : « Des lecteurs de l’A.F., il n’en est pas un qui ignore ou puisse ignorer que l’ennemi numéro un de leur pays est l’Allemagne (...) Après Hitler, ou, qui sait ? Avant lui, sur un tout autre plan, il y a un autre ennemi : c’est la République démocratique, le régime électif et parlementaire légalement superposé comme un masque grotesque et répugnant à l’être réel du pays français. »

En 1935, le quotidien monarchiste avait milité pour une entente avec Mussolini pour empêcher celui-ci de tomber dans les bras d’Hitler, puis en faveur de Franco. En 1938 il approuve les accords de Munich et s’oppose à l’idée d’une guerre dont Maurras affirme l’impréparation totale. Maurras ne cesse de répéter : « Rien pour une guerre de doctrine, tout pour la défense de notre sol sacré. », ou « Pas de guerre pour les Juifs ».

b - Période de Vichy

En juin 1940, après l’effondrement de l’Armée française, il déclare au préfet de la Vienne : « Que voulez-vous, Monsieur le Préfet, soixante-dix ans de démocratie, ça se paie ! »

Après 1940, quittant Paris pour finalement rejoindre Lyon, il poursuit son œuvre de journaliste - contre les dissidents de Londres, - contre les collaborateurs de Paris. Il s’attache à la politique de Pétain en qui il reconnaît l’homme d’État selon ses vœux. 11 dira : « Avec Pétain, nous sortirons du tunnel de 1789. » Il considère Pétain comme « la divine surprise » (février 1941), comme la chance qu’a eue la France d’être arrachée au désastre par le « sauveur ».

Pétain est l’homme providentiel, parce qu’il est le substitut de la Monarchie ; il veut maintenir l’unité en faisant des réformes sociales.

Pourtant le public de l’A.F. éclate, chacun rejoignant le camp qui lui semble le plus proche des idées maurrassiennes.

Ainsi, certains entreront dans la Milice, tandis que d’autres seront parmi les premiers résistants. Cela vient de ce que le public, qui ne connaît pas les idées profondes de Maurras, interprète ses articles différemment, car Maurras utilise des slogans équivoques et a une position intermédiaire, pourtant très cohérente du point de vue intellectuel et politique.

Maurras, qui veut « tenir la ligne de crête », et ne croire qu’en « la seule France », en n’adhérant ni au « clan des yes », ni au « clan des ya », s’aligne malgré tout sur la politique du Maréchal. Beaucoup de royalistes alsaciens entrent dans le maquis, Honoré d’Estienne d’Orves est l’un des premiers fusillés de la résistance, Guillain de Bénouville, Jacques Renouvin, Alain de Camaret, le colonel Rémy, Jean-Louis Vigier (cf. article de René Hostache dans « Royaliste » 384 du 9 juin 1983) sont royalistes et résistants et vont devenir gaullistes. Cependant la majorité reste attentiste et pétainiste.

Maurras, dont les sentiments à l’égard des « boches » n’ont pas varié, accueille chaleureusement la « Révolution nationale ». Tout en prenant ses distances à l’égard des anciens membres de l’A.F. qui versent dans la collaboration, notamment le groupe de « Je suis partout ». Il continue à faire paraître l’A.F. après l’occupation de la « zone libre » en 1942, et jusqu’en août 1944 il poursuivra, à grand renfort de « je l’avais bien dit », ses attaques contre les gaullistes, les démocrates-chrétiens, les juifs, les francs-maçons et leurs alliés. Mais à partir de 1942 son attitude devient plus théorique. Dans les milieux collaborationnistes, Maurras est très mal vu, car sa soumission à l’occupant n’est qu’apparente. Le journal est d’ailleurs assez souvent censuré. Ce que disait l’A.F. ne correspondait-il pas à ce que pensait la majorité du pays ? Sans doute, mais la « ligne de crête », qui était peut-être encore possible en 1940, n’était plus possible à tenir après. D’autre part certaines distinctions, par exemple celle qui voulait que l’antisémitisme de l’A.F. ne fût qu’un « antisémitisme d’État », n’avait aucun sens à l’heure des déportations. Maurras, malgré son profond anti-germanisme, qu’il faisait ressortir dans des articles compris par les seuls initiés, ou dénaturés par la censure, dut en fait se soumettre.

c - L’après-guerre et le crépuscule de l’A.F.

En 1945, le quotidien est interdit. Toutes les organisations militantes ont déjà été dissoutes en 1936. Maurras est arrêté et condamné à la détention perpétuelle ; il s’écrie alors pathétiquement : « C’est la revanche de Dreyfus ».

En 1947, quelques anciens fidèles de l’A.F. fondent le journal « Aspects de la France ».

Maurras, ayant obtenu une grâce en raison de son état de santé, meurt en 1952 dans une clinique de Tours, après avoir achevé ses derniers ouvrages écrits en prison. Après la mort de Maurras, on retrouve tous les braves de l’A.F. mais la bravoure ne suffit pas à reconstituer le génie antique du mouvement et l’essentiel de la philosophie politique maurrassienne est oublié par les anciens disciples de Maurras.

En 1955, Pierre Juhel fonde la « Restauration Nationale », mouvement monarchiste dirigé notamment par Maurice Pujo et quelques anciens responsables de l’A.F.

De 1958 à 1962, la Restauration Nationale prend parti pour l’Algérie française, ce qui correspondait alors très bien avec l’esprit des militants ; elle essaye de constituer un « Comité de Salut Public » afin de provoquer une « Révolution Nationale », pour sauver l’Algérie française.

Après cette période, les militants qui étaient rentrés dans les rangs de la R.N., à seule fin de lutter pour l’Algérie quittent le mouvement.

Il faudrait situer ici aussi la scission opérée par Pierre Boutang, philosophe maurrassien qui publia, de 1957 à 1967, un hebdomadaire concurrent d’ « Aspects de la France », « La Nation française », avec un rare brio intellectuel et qui finit par se rallier à De Gaulle en qui il espéra un restaurateur possible de la Monarchie avant de déchanter dès 1965 et de s’étioler. Mais ce serait une autre histoire encore qu’à certains égards le mouvement de la Nation française apparaît comme un précurseur de la future Nouvelle Action Française…

Quoi qu’il en soit, la crise de mai 1968 est, à la Restauration nationale, le début d’un nouveau grand malaise.

Le 1er mai, fête de la saint Philippe ... (évoquant le maréchal Pétain !), « Aspects de la France » ressort ses vieilles positions antigaullistes dogmatiques, qui apparaissent alors comme tout à fait anachroniques. C’en est trop pour de nouvelles générations de militants qui sont au contact, à l’université et ailleurs, de leurs contemporains dont ils partagent maintes aspirations psychologiques.

Le malaise s’amplifie graduellement, et provoque un peu plus tard une grande crise interne de la R.N. et une nouvelle scission.

Mais, plus de vingt ans après la Libération, certains fidèles de Maurras gardent le sentiment qu’ils ont été victimes d’une conspiration.

Ils dénoncent infatigablement les horreurs du « résistancialisme » et les crimes de l’épuration, et ils ne sont pas près de pardonner au général de Gaulle :

 ni la condamnation de Maurras,

 ni la disparition de l’A.F.

 ni le « bradage de l’Algérie ».

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