Témoignage d’André de Fouquières [1] dans son livre “Cinquante ans de Panache” [2]
« J’étais attendu à Bruxelles par le baron de Fonscolombe [3] , gentilhomme de service. Je fus immédiatement conquis par la façon d’être, par l’esprit d’à-propos -, voire même l’ironie - du duc d’Orléans [4]. Il m’apparut comme l’incarnation même du vieux Panache français. Et cette entrevue avec le Prétendant marque véritablement mon entrée dans la vie politique active pour une carrière qui, si elle fut éphémère, fut, aussi, bien remplie.
Je rentrai à Paris plein d’enthousiasme et fondai aussitôt avec le baron Raoul de Vaux [5] et le baron Edmond de Charnacé [6] « L’Œillet blanc » [7] , association qui voulait constituer la garde d’honneur du Prince. Raoul de Vaux était un garçon plein de fantaisie, doué d’une vive imagination, généreux envers les humbles ; après avoir longtemps habité un appartement sous les combles, rue Royale, il devait finir ses jours, perclus de rhumatismes, sur la colline de Montmartre. Quant à Edmond d’Ecurolles de Charnacé, c’était un élégant cavalier, un homme d’une infinie séduction, animé d’une foi merveilleuse. Il épousa Marie de Grandmaison. Ces deux amis, trop tôt disparus, eussent été dignes d’appartenir à la chevalerie médiévale. Mais combien d’autres aussi, qui furent les meilleurs compagnons de ma jeunesse ardente ? »
« Ah ! les belles, les étourdissantes années ! Chaque mercredi « L’Oeillet blanc » se réunissait autour de la poule-au-pot, chère à Henri IV dans un cabinet particulier du restaurant Durand [8] qui était alors place de la Madeleine, là où se dresse l’immeuble de l’Agence Cook. Il en coûtait cinq francs par convive. Nous taquinions Charles du Boys [9] en lui demandant de « reprendre des petits poys », Georges de Castillon de Saint-Victor [10] , futur pionnier de l’aéronautique avec Henri de La Vaux [11], est devenu un des meilleurs prédicateurs de la Compagnie de Jésus. André Legrand [12] et Alfred Waskiéwicz [13] avaient le verbe haut et le coup d’épée facile. Le marquis de Virville [14] était fier d’être un des descendants - en ligne collatérale s’entend ! - de Jeanne d’Arc. »
« Nous formions mille projets. Non que nous nous souciions d’assurer notre avenir, mais parce que nous avions l’ambition de travailler pour l’avenir de la France. Il est vrai qu’il entrait beaucoup d’inexpérience dans nos manifestations : du moins en tirions-nous le réconfort de marcher en compagnie de camarades animés d’un même idéal, partageant de communes espérances. »
« Des congrès monarchistes furent organisés à travers toute la France. Le comte de Bastard [15], Roger Lambelin [16] , Jean de Sabran-Pontevès [17], Paul Bézine [18] , André Buffet [19] , étaient sans cesse sur la brèche. On pouvait déclarer chimérique cette jeunesse dévouée à la cause royale, elle avait quand même le premier mérite d’être désintéressée, ce qui, aujourd’hui surtout, en un temps où le profit est maître, ne doit pas paraître si mince vertu. »
« C’est dans ce même cabinet particulier du premier étage de Durand où nous tenions nos assises le mercredi que, quelques années auparavant, le général Boulanger [20]avait vécu cette fameuse soirée qui faillit emporter la République. Il venait d’être élu député. Une foule immense, déferlant des boulevards à la Concorde, réclamait qu’il marchât sur l’Elysée où, déjà, le président pliait bagage. Mais Boulanger se dirigea… vers Bruxelles : Mme de Bonnemains [21] était mourante, Mme de Bonnemains sur la tombe de qui il devait se tuer. »