Devant la guerre qui se déroule à Gaza comme dans les autres conflits en cours, est-il possible de prendre raisonnablement position ? Le flux des images terrifiantes provoque, une fois encore, un sentiment largement partagé d’impuissance résignée.
Sur nos écrans, les souffrances des gazaouis sont en train de rejeter dans l’ombre le pogrom du 7 octobre tandis que s’éloignent le souvenir du nettoyage ethnique du Haut-Karabagh et du spectacle fragmentaire de la guerre russo-ukrainienne. Le cours de l’histoire se perd dans la succession des instantanés, choisis pour leur charge émotionnelle.
Restent les empathies sélectives, mais les échanges d’invectives viennent contredire ce qu’on perçoit de la complexité des conflits et contribuent au désarroi. Que dire et surtout que faire pour ne pas tomber dans le relativisme ? Un individu ne peut rien, à moins qu’il ne s’engage sur un champ de bataille. Un citoyen militant peut suivre les consignes de son parti mais il ne saurait ignorer qu’on y rédige les protestations indignées en songeant aux clientèles électorales à préserver ou à conquérir. Les condamnations morales agacent par leur vacuité mais il est impératif, face au torrent des mots employés à tort et à travers, de ne pas consentir à l’égalisation de toutes les violences. Une entreprise génocidaire est tout autre qu’un massacre de population civile, un crime contre l’humanité est tout autre qu’un crime de guerre, une action terroriste est tout autre qu’une opération militaire.
La seule démarche rigoureuse, qui n’efface pas les affinités personnelles, conduit à interpeller le chef de l’État, le gouvernement et la représentation nationale. Il ne s’agit pas de s’en remettre paresseusement aux autorités, mais d’invoquer les principes communs et d’appeler l’Etat à l’action.
Des citoyens peuvent souhaiter la victoire d’un camp sur un autre mais les disputes entre les pro et les anti doivent se modérer selon une même exigence : la paix entre les nations qui est la visée permanente de la France. Point d’angélisme cependant. La France doit défendre ses intérêts mais, nation de taille moyenne, elle a intérêt à la paix générale, qui est pour elle le plus sûr moyen de préserver son indépendance.
Cette visée pacifique n’est en rien pacifiste : puisque la paix repose sur un équilibre des forces selon des principes de droit, il faut parfois faire la guerre pour rétablir cet équilibre. La politique étrangère de notre pays a pour vocation de maintenir ou de rétablir les conditions de possibilité de la paix, par l’intervention directe ou par l’offre de médiation. Ce qui suppose que nous puissions faire valoir les moyens appropriés de notre puissance. La tâche est certes difficile mais l’intelligence des situations tient pour une grande part aux informations fournies par les diplomates qui ont pour tâche d’apprécier les rapports de force, dans le silence qu’ils imposent à leurs propres sentiments, au fil des relations qu’ils entretiennent avec tous les protagonistes, y compris les moins recommandables. C’est ainsi qu’ils peuvent entrer le moment venu dans la négociation, selon les instructions qu’ils reçoivent. Ils savent qu’une politique étrangère n’est jamais accomplie. Selon la maxime de Vladimir Jankélévitch, “ce qui est fait reste à faire” tant la paix est fragile, tant les bévues et les ratages, nombreux dans notre histoire comme dans celle des autres nations, menacent à chaque instant le sérieux des intentions.
Ces lignes de conduite devraient permettre d’écarter deux tentations récurrentes : la soumission de la politique étrangère aux tactiques politiciennes et aux compromis avec les groupes de pression ; l’alignement sur la puissance dominante. Emmanuel Macron, qui croit pouvoir se passer d’un véritable ministre des Affaires étrangères, fait exactement le contraire. Tout en organisant la destruction de notre corps diplomatique, il s’est aligné sur les Etats-Unis au lieu de préparer une médiation effective dans le conflit russo-ukrainien. Lors de son voyage en Israël, il a appelé à une coalition internationale contre le Hamas, abandonné le jour même cette idée puis rappelé la position française tout en démontrant son insigne faiblesse par l’envoi, en guise de démonstration de puissance, d’un navire humanitaire.
Encore une fois, la France ne fera rien. Nous voici renvoyés à nous-mêmes, alors que des initiatives françaises en Europe, dans le Caucase et au Proche-Orient, auraient réorienté le débat national et transcendé les passions. Confrontés au spectacle désolant d’un Etat impuissant à l’intérieur et incapable à l’extérieur, il nous faut tenter de ménager l’avenir en luttant contre la fiction occidentaliste (l’Ukraine n’a pas soutenu l’Arménie, Israël coopère avec l’Azerbaïdjan) et contre ceux attisent les haines identitaires au nom de l’invraisemblable guerre des civilisations ou de l’introuvable solidarité révolutionnaire des damnés de la terre. Israël mène une guerre nationale. Les Etats-Unis tentent de maîtriser les tensions internationales en Orient. D’autres Etats - la Turquie par exemple - cherchent à se placer en vue de futures négociations sur l’Ukraine et sur Gaza. Pendant ce temps, l’Elysée fait de la communication.