Le duo Macron-Borne veut tourner la page de la réforme des retraites. Il n’y arrivera pas. La décision prise le 14 avril par le Conseil constitutionnel valide la retraite à 64 ans mais au prix d’une violation éhontée des principes juridiques. Violation du principe d’impartialité puisque plusieurs juges avaient été impliqués dans d’autres réformes de ce type. Violation de l’exigence d’argumentation juridique raisonnée et clairement exposée puisque les détournements de procédure commis par le gouvernement ont été entérinés par des formules souvent obscures et toujours péremptoires.
Dans leur grande majorité, les citoyens qui forment le peuple souverain ont pris les épisodes parlementaires et juridictionnels pour ce qu’ils étaient : des opérations de vive force conclues par un nouveau déni de démocratie puisque le référendum d’initiative partagée a été refusé. Les concerts de casseroles qui ponctuent les déplacements d’Emmanuel Macron, d’Élisabeth Borne et de divers ministres sont venus confirmer la permanence et l’ampleur de la révolte, dans l’attente des manifestations du 1er mai.
La tactique gouvernementale d’apaisement ressemble à celle de lutteurs de foire qui, après avoir tabassé d’innombrables passants, proposeraient au hasard des rues pommades et pansements. De fait, après avoir proclamé sa victoire le 17 avril à la télévision, Emmanuel Macron s’est mis à distribuer des calmants avec le concours de quelques ministres… Ils ne voient pas que les petits avantages concédés - et toujours bons à prendre - aiguisent le ressentiment.
On va augmenter le salaire des professeurs ? Mais c’est trop peu par rapport aux retards accumulés et il leur faudra travailler plus encore. On va pourchasser la fraude sociale ? Mais s’agit-il de la seule fraude aux prestations sociales (2,3 milliards estimés en 2019) ou va-t-on s’attaquer à la fraude aux cotisations sociales patronales (de 7 à 8 milliards estimés) ? Et pourquoi s’en inquiéter si tardivement en oubliant l’évasion fiscale qui coûte entre 80 et 100 milliards estimés ? On va réduire les délais pour les papiers d’identité ? C’est reprendre les annonces faites il y a un an !
Le message officiel est explicite : il faut “avancer” avec ce gouvernement qui s’occupe si bien de notre vie quotidienne ! Cette « communication » infantile bute sur une réalité évidente, qui tient en un mot : inflation ! La hausse des prix de l’alimentation atteignait en mars 15,7 % sur un an. Elle provoque une somme incalculable d’angoisses et de privations qui s’ajoutent à toutes celles subies par les classes moyennes et populaires depuis des années ou des décennies. Or ceux qui veulent faire « avancer » la société par les réformes néolibérales sont pris au piège et tournent en rond. Pour atténuer la violence de l’inflation, on verse aux plus démunis des compléments de salaire sous forme de chèques et on prolonge le bouclier énergie. Or la Commission européenne exige que les gouvernements nationaux reviennent à l’austérité budgétaire en réduisant leurs dépenses de protection sociale. En écho à Bruxelles, Bruno Le Maire a annoncé que le bouclier tarifaire et les chèques exceptionnels seront supprimés avant deux ans…
Les gentillesses gouvernementales sont donc provisoires. Tout repose sur le pari d’une baisse constante des prix de l’énergie qui permettrait de respecter les injonctions de la Commission. À l’Élysée, à Matignon, à Bercy, les discours volontaristes s’efforcent de masquer la cruelle vérité : comme l’ensemble de la politique économique et sociale, la lutte contre l’inflation est soumise aux aléas de la conjoncture et aux décisions prises par des autorités étrangères : la Banque centrale européenne réagit selon les choix de la Réserve fédérale américaine, la Commission de Bruxelles fixe des orientations générales en fonction de critères idéologiques, au fil de négociations opaques et dans un climat de spéculation généralisée. Tous ces organes ont un seul et même objectif, que partage la classe dirigeante de notre pays : la défense, quoi qu’il arrive, des intérêts du Capital. Or les principaux groupes industriels et financiers, qui sont habituellement hostiles à l’inflation, constatent qu’elle permet d’accumuler encore plus de profits. Chez les économistes, il devient courant d’analyser la « boucle prix-profits » et la presse américaine évoque plus concrètement la greedflation : l’inflation provoquée par la cupidité. Comme les taux d’intérêt, même relevés, restent très inférieurs au taux d’inflation, les Banques centrales ont fait, en disant le contraire, le choix de l’inflation. Comme les augmentations de salaires sont faibles ou inexistantes, ce sont les consommateurs qui subissent chaque jour les conséquences du choix des banquiers centraux, jamais expliqué ni débattu dans les Parlements nationaux.
La question de l’inflation ne relève pas du débat d’experts. Elle implique la reconquête de notre souveraineté économique, monétaire et financière et, dans l’immédiat, une lutte résolue pour imposer au gouvernement et au patronat un juste partage des richesses. Il ne peut pas y avoir de trêve, ni d’apaisement. ■