Accueil > Le bimensuel Royaliste > Nos articles récents > L’éditorial de Bertrand Renouvin > 2022 > Conjonctions violentes

Royaliste n° 1234

Conjonctions violentes

par Bertrand Renouvin

lundi 9 mai 2022

En mars, les Nations unies (FAO) alertaient sur les conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, deux pays qui représentent plus du tiers des exportations mondiales de céréales. Des famines sont redoutées en Afrique, au Moyen-Orient, au Bangladesh, au Pakistan.

Début mai, l’Inde et le Pakistan étaient confrontés à une vague de chaleur marquée par des records de température. L’eau et l’électricité manquaient dans certaines régions.

En Chine, le gouvernement a décidé le confinement de 25 millions d’habitants de Shanghai. La faible efficacité du vaccin chinois, les pénuries alimentaires et médicales qui s’ajoutent à l’enfermement provoquent des mouvements visibles de colère, qui sont violemment réprimés.

Au Japon, le gouvernement qui a refusé de relever les taux d’intérêt voit le yen s’effondrer et provoque l’inquiétude des autorités monétaires américaines.

La guerre russo-ukrainienne entraîne un mouvement rapide de sanctions et de contre-sanctions qui conduit à des perturbations graves et durables dans les pays membres de l’Union européenne. L’inflation et les pénuries de divers produits – de l’aluminium à l’huile de tournesol – sont les signes visibles de ces perturbations.

Les faits que j’évoque s’inscrivent dans le mouvement général de démondialisation qui s’est amorcé au fil de la précédente décennie.

Les grandes puissances continuent de poursuivre leurs objectifs selon divers modes de déploiement ou de défense tandis que maintes nations affirment leur autonomie. Dans ce jeu, un basculement s’opère au profit de l’Asie : il s’illustre par l’affaiblissement du G7, qui n’assure plus que 31 % du PIB mondial, contre 50 % à la fin du siècle dernier.

Les dirigeants de l’Union européenne assistent à ces bouleversements sans en tirer des leçons salutaires. Intégrés à l’ensemble atlantique, ils ne discutent ni les méthodes, ni les objectifs des États-Unis dans la guerre d’usure que Washington mène en Ukraine contre la Russie. Engoncés dans un système de normes présumées « européennes », ils réagissent au coup par coup comme ils l’ont fait au plus fort de la crise sanitaire.

Après les assouplissements quantitatifs décidés pour contrer les effets de la crise de 2008, l’injection massive de monnaie dans l’économie et la levée des contraintes budgétaires ont montré que Bruxelles et Francfort n’étaient pas capables d’affronter les crises sans abandonner des règles déclarées impératives.

On annonce bien entendu un prompt retour à la normale, avec austérité budgétaire et remboursement des dettes publiques.

C’est une illusion ou un mensonge. Fière de sa puissance, sempiternelle donneuse de leçons, l’Allemagne redécouvre l’inflation, s’aperçoit qu’elle n’a pas de défense digne de ce nom et prend la mesure de sa dépendance à l’égard de la Russie pour le gaz et à l’égard de la Chine qui assure les approvisionnements de la moitié des entreprises allemandes.

Dans une logique de guerre économique contre la Russie, les sanctions décidées par l’Union européenne pour accompagner les États-Unis n’ont pas arrêté l’invasion de l’Ukraine et comportent des effets négatifs qui n’ont pas été évalués par Bruxelles. Ces mesures souffrent d’une faiblesse rédhibitoire : elles sont improvisées sous le coup de l’émotion et décidées au mépris de leurs conséquences autopunitives alors que Moscou se prépare depuis dix ans à de très sévères sanctions. L’Union européenne a participé à la montée des tensions sur le continent européen sans se préparer à une épreuve de force. Elle se trouve prise au dépourvu, ce qui est grave, mais surtout elle est incapable de transformer ses principes, ses structures et ses méthodes.

Les effets de la crise sanitaire, les conséquences du changement climatique, l’inflation et les pénuries provoquées par l’invasion de l’Ukraine et la prévention de possibles crises monétaires et financières impliquent une réorganisation dirigiste qui est contraire aux traités européens et qui produirait des effets négatifs si elle était imposée par un coup de force technocratique. D’une nation à l’autre, les taux d’inflation ne sont pas les mêmes, les réactions à la hausse des prix ne sont pas identiques et les niveaux de dépendance à l’égard des matières premières sont différents.

La Banque centrale européenne ne peut jouer un rôle salvateur car elle poursuit trois objectifs difficilement compatibles – la lutte contre la poussée inflationniste, le maintien de la croissance et la prévention des crises financières – pour des États membres dont les économies divergent.

Il faudrait des plans et des projets nationaux coordonnés, mais les États membres de l’Union européenne sont pris au piège d’un système de règles inscrites dans les traités et dramatiquement inadaptées à la conjonction de crises qui sont très différentes mais qui recèlent d’énormes potentiels de violence.

Face à ces dangers, la France devrait mobiliser toutes ses forces. Au lieu de se consacrer jour et nuit à cette immense tâche, Emmanuel Macron perd son temps dans des opérations de basse cuisine électorale. Un chef de parti est à la manœuvre. Ce qui signifie que nous n’avons toujours pas de chef d’État. ■