Le constat est dur, et recoupe les analyses du colonel Goya : la France n’est plus une réelle puissance militaire, elle ne pourrait, en cas d’opérations intensives, tenir qu’un front de 85 kilomètres, à comparer avec les 1.000 kilomètres du front ukrainien. Notre « modèle d’armée complet » c’est « l’armée américaine mais en version bonsaï ». Une grande qualité, sans épaisseur, permettant de vaincre un ennemi moins armé et moins bien commandé, à condition de pouvoir obtenir de nos alliés une aide logistique et capacitaire. Une illusion qui se révèle aujourd’hui au grand jour. Notre armée évoque celle de 1870 : aguerrie par les opérations hors d’Europe, mais pas de doctrine, d’effectifs ni d’équipements pour affronter un adversaire comme la Prusse. Il faudrait trois ans de production pour compenser les pertes prévisibles des premières semaines de guerre aérienne. Nos militaires n’aiment ni les chars lourds ni les drones, nos blindés à roue n’ont pas d’acheteurs à l’étranger.
Après les guerres choisies, voici l’ère des guerres subies. Notre dissuasion nucléaire est crédible, mais n’empêche pas la « sanctuarisation agressive » de nos adversaires. Le seul cadre d’engagement réalise est l’OTAN pour Jean-Dominique Merchet qui estime que partager la dissuasion impliquerait le retour dans le groupe des plans nucléaires.
Aujourd’hui l’Occident perd les guerres, les OPEX ont été peu utiles, notre propre armée a le culte du sacrifice plus que celui de la victoire.
Quand l’Ukraine montre l’importance du nombre, les difficultés de recrutement sont réelles, mais présenter des modes d’engagement plus souples, notamment la réserve, devrait faire émerger une offre qui reste forte. La diversification des modes d’attaque implique des compétences, notamment informatiques, qui ne nécessitent pas de maîtriser les techniques du fantassin. Le service militaire obligatoire, fantasmé par une frange qui y voit un moyen d’éducation voire de dressage civique, n’a ni nécessité ni utilité. Une position que partage Royaliste.
Nos institutions sont solides et résilientes, mais reposent sur la volonté d’un seul. Les royalistes peuvent d’ailleurs s’interroger sur la dévolution de la dissuasion nucléaire dans une monarchie démocratique. Le Premier ministre élu, ou le monarque en charge du long terme ? Plus généralement, notre peuple a montré lors du Covid sa résilience, les élites inspirent une moindre confiance.
Nous n’avons pas d’ennemi à nos frontières, mais on peut, grâce aux drones aériens ou navals, ou à l’action de forces spéciales très présente dans la doctrine russe, désorganiser notre société très complexe.
La guerre avec qui, contre qui ? Jean-Dominique Merchet récuse l’engagement indo-pacifique aux côtés des Etats-Unis, où nous serions d’un apport médiocre, alors que notre engagement en Europe serait plus utile à l’Alliance. Il appelle à choisir résolument Varsovie plutôt que Tahiti. Ce qui suppose que le seul affrontement possible en Indo-Pacifique soit sino-américain et que Tahiti et Nouméa ne soient pas des cibles.
Sa conclusion est que nous ne saurions prévoir une guerre, mais qu’il importe d’être capable de tenir et de s’adapter, en faisant confiance à notre peuple. Mais si nous commencions par revoir la loi de programmation ?
Eric Cézembre.
► Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? L’illusion de la puissance française, Robert Laffont, 2024.