« Être français, c’est justement prendre en considération autre chose que la France », écrivait Witold Gombrowicz. Une assertion que, tout député nationaliste qu’il fut, Maurice Barrès n’aurait pas renié. En effet, il ne cessa de voyager et d’en tirer des récits et des œuvres littéraires. Il en fut ainsi de l’Italie du Nord (Du Sang, de la volupté, et de la mort puis Amori et Dolori sacrum) comme de l’Espagne (Gréco ou le secret de Tolède) et de la Grèce (Le Voyage de Sparte) comme du Proche-Orient (Une Enquête aux pays du Levant).
De l’Espagne, Barrès goûtait la violence aride que symbolisait à ses yeux la ville de Tolède, joyaux castillan enserré par le Tage : « Les raisons de Tolède ! c’est un superbe dialogue entre la culture chrétienne et l’arabe, qui s’assaillent et puis se confondent. » Les toiles du Greco, et en particulier L’Enterrement du comte d’Orgaz, lui en fourniront la meilleure clef de lecture. Barrès a séjourné à Venise pas moins de sept fois entre 1887 et 1916. « Cette ville m’a toujours donné la fièvre », confiera-t-il au début d’Amori et Dolori sacrum. La Sérénissime est pour lui l’endroit le plus favorable au monde « aux rêveries sur le Moi ». Elle est la ville pleinement humaine qui ne laisse aucune prise à la nature : l’eau est domestiquée, les arbres presque totalement absents.
Fleuves lointains. - Si Maurice Barrès arpente la Grèce en 1900, ce sont l’exploration des strates historiques successives qui l’anime et non le regret de la pureté antique : « Cette Grèce, où nous venons prendre des leçons de classicisme, a fourni plus qu’aucun lieu des couleurs au romantisme. » On lira ou relira à ce sujet avec profit Le Voyage de Sparte. C’est en 1914 que Maurice Barrès accostera en Orient, à Alexandrie puis à Beyrouth. Il visitera Alep et Antioche en Syrie et ira, tel Alexandre le Grand, jusqu’aux rives de l’Euphrate.
Pour comprendre cette attirance de Barrès pour les pourtours du bassin méditerranéen, il faut se remémorer qu’il n’a eu de cesse d’arrimer sa Lorraine natale à l’espace latin et qu’il aurait souhaité le faire pour l’espace rhénan qu’il rêvait de voir devenir plus largement français. Lieu de rencontre privilégié de la latinité et du germanisme, la Lotharingie doit pour lui opter pour la première. La Lorraine de Barrès est donc bien plus proche de l’Italie que de l’Allemagne.
Dernier roman publié par Barrès de son vivant, Un Jardin sur l’Oronte, déclencha de vives polémiques en 1922, entre les jeunes critiques catholiques et maurrassiens qui reprochaient à l’écrivain de tourner le dos à la religion de ses pères au prétexte que ce livre décrivait les amours d’un jeune croisé du XIIIe siècle et d’une musulmane en Syrie. La pudique sensualité orientale qui se dégage de ce texte choquait les jeunes thomistes français épris de morale. A rebours, cette sévérité parait bien excessive et Barrès en fut blessé. Demeure un texte où respire la fascination exercée par l’Orient sur l’auteur : « Les jardins de Qalaat étaient réputés parmi les plus beaux de la Syrie, dans un temps où les arabes excellaient dans l’art d’exprimer avec de l’eau et des fleurs leurs rêveries indéfinies d’amour et de religion. »
Barrès est un peintre de notre littérature et de notre histoire. Toute sa vie, il a recherché la proximité de la lumière : « Sparte, le soir où j’y parvins, embaumait le lilas en fleur. Parmi les blanches maisons de ce grand village neuf, je crus, au premier regard, retrouver l’Andalousie, Grenade par exemple, d’où l’on voit, tout en brûlant, les neiges du Cerro de Mulhacen. Mais à l’ouest de Sparte, le fleuve Eurotas, en s’écoulant parmi ses désolations, fait avec le mont Taygète, un accord sublime. »
Jérôme Besnard.
Un remarquable biographie de Maurice Barrès : Emmanuel Godo, Maurice Barrès, le grand inconnu, Tallandier, avril 2023.