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Royaliste n°1260 du 5 juillet 2023

Présence de Maurice Barrès

Les Lettres

mercredi 5 juillet 2023

« Etes-vous là, Barrès ? » Comme l’huissier du procès surréaliste du 13 mai 1921, je convoque Barrès, non pour le juger, « le condamner ou l’absoudre », mais pour « l’inviter à siéger parmi nous » (Pierre de Boisdeffre).

L’homme Barrès est mort le 4 décembre 1923. Il est mort une seconde fois le 20 janvier 1946 au moment où le général barrésien qu’était le De Gaulle de la guerre choisit de démissionner parce qu’il n’avait pas les moyens de mener sur le Rhin la politique de Barrès. Le dernier grand politique barrésien né en 1916 n’est mort, lui, que le 8 janvier 1996 (François Mitterrand).

Présence de Barrès en 2023 ? Il y a des tranchées en terre européenne. Barrès y est. Il y a des « provinces perdues » entre Ukraine et Russie. Barrès y est. Il y a des Aborigènes en Australie et en Nouvelle-Guinée qui se battent pour leurs collines inspirées. Barrès y est. Le président-poète sénégalais Sédar Senghor l’avait mobilisé au profit de la négritude. L’on se bat en Syrie et dans les pays du Levant. Barrès y est. Avant tout le monde, il avait identifié que la clé de la région était en Iran chiite.

Sans même aller loin, des gens en France se lèvent pour la protection de sites naturels, de leurs paysages familiers, de leurs vaches. Barrès est parmi eux. Il y a des églises de France qui sont démolies, converties en salles des fêtes, vendues à des particuliers. Barrès est là. Et l’Allemagne ? Le rhénan Adenauer est mort. Kohl, un autre rhénan, est mort. Les bastions de l’Est n’en sont plus. Nous n’avons plus, bien à tort, les yeux rivés sur la ligne bleue des Vosges. Qui va sauver Strasbourg, capitale européenne, face à Berlin ou à Bruxelles ? Barrès encore et toujours.

Uchronie. - On peut tout à fait imaginer une histoire différente si Barrès avait vécu au-delà de l’âge de soixante-et-un ans. Il avait conçu d’autres formules de coopération rhénane qu’une politique de force conduite par un huissier accompagné de gendarmes. Le président Millerand en 1924 qui avait des idées plus innovantes eût pu s’appuyer sur lui au lieu d’être, lui aussi, contraint à la démission. Barrès eût soutenu l’autre lorrain Lyautey face à Pétain. On n’imagine pas un instant Barrès envisager l’évacuation de Mayence en 1930, ni bien sûr se trouver démuni face à la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936. L’ami de Jean Jaurès et de Léon Blum – eh ! oui ! – aurait réalisé l’union nationale face au nazisme bien plus tôt.

Barrès n’appartient pas qu’aux historiens ou aux littéraires qui se le disputent. Il fut un politique non pas d’avant-hier mais d’après-demain (Jean-Marie Domenach). Pour ne retenir que celui qu’il était devenu : en mars 1922, quoique non-inscrit, il est promu à la vice-présidence de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Députés. Il avait été élu sans interruption à Paris depuis 1906 (après avoir été député de Nancy de 1889 à 1893). Les œuvres auxquelles il tenait le plus sont issues de ses travaux parlementaires : La Grande Pitié des églises de France et L’Enquête aux pays du Levant . La grande aventure de sa vie entière avait été la récupération de l’Alsace-Lorraine. La victoire de 1918, la libération de Metz et de Strasbourg, n’était pourtant pas définitive comme il eût pu le constater s’il avait vécu jusqu’en 1940 et 1944. La « garde sur le Rhin » pour Barrès ne s’était pas terminée en 1918. Il ne cessa alors d’écrire sur l’Allemagne : ses conférences à l’université de Strasbourg en 1920 sur le « génie du Rhin » ; son article à la Revue Universelle de Bainville les 1er et 15 janvier 1922 : « Quelles limites donner au germanisme intellectuel ? » Sa manière n’était en aucune façon de renier tout ce qui venait d’Allemagne, nul plus que lui n’était pétri de culture allemande qu’il aimait sincèrement, sa manière n’était pas d’opposer systématiquement l’une à l’autre, puisqu’il allait jusqu’à prôner une forme de « fusion », mais, comme le titre l’indique, de marquer les limites en tant que nationaliste français.

Le mot est lancé : « nationaliste français ». Entre 1871 et 1914, on sait ce que c’est (Raoul Girardet). Mais après la Grande Guerre ? En conclusion de son article précité, Barrès se réfère à une de ses chroniques, publiée le 19 avril 1915 : « nous élargirons notre nationalisme en projetant de la lumière dans la notion nationale allemande » et il ajoutait « avec d’autant plus de force probante que nous y déploierons moins de passion et plus de nuance. »

Barrès nous oblige. Qu’est-ce qu’être nationaliste français en 2023 ou plutôt que sera-ce en 2030 et au-delà ? « Je l’étends », disait-il encore du vocable. « Plus je l’étends plus je l’enracine ; plus je l’enracine, plus je l’étends ». La formule notée d’un article des années 1960 ne m’a jamais quitté. Loin d’opposer « la mer et les vivants » de l’ambassadeur Paul Claudel à « la terre et les morts » de Maurice Barrès, la mondialisation à l’identité, le cosmopolitisme au multiculturalisme, la politique et la littérature ont pour fonction de les concilier dans un dépassement toujours plus exigeant. On ne saurait congédier ni l’une ni l’autre : Maurice Barrès, Cher Maître, restez encore un peu avec nous. Nous avons besoin de vous.

Dominique Decherf, ancien ambassadeur, président de la Société des lecteurs de Maurice Barrès.